EDITORIAL

Haïti: Partage du pouvoir et ironie de l’histoire

Par Léopold Berlanger

En vue de mettre un terme à l’omnipotence historique de l’institution présidentielle en Haiti, la Constitution de 1987, s’inspirant du puissant réveil démocratique de l’époque, accouchait d’un régime politique hybride semi-présidentiel et semi-parlementaire. Cette formule relativement nouvelle pour notre pays trouva son expression dans un pouvoir renforcé du Parlement et un Exécutif bicéphale, confié à la fois à un Président de la République et un Premier Ministre.

Cette nouvelle configuration, façonnée à partir d’un rééquilibrage en profondeur des pouvoirs entre l’Exécutif et le Législatif faisait néanmoins le pari d’un jeu politique institutionnalisé, axé sur le fonctionnement régulier de partis politiques véritables, fortement articulés à une majorité ou une minorité parlementaire.

Cependant, contrairement aux voeux de notre Constitution, force est de constater que l’exercice du pouvoir politique, aujourd’hui encore, se confine essentiellement en dehors de la sphère des partis politiques.

Il demeure quasiment l’apanage et le monopole de personnalités sans engagement de partis et sans vision collective, catapultés aux commandes des affaires de l’Etat. Ce mode de rapport au pouvoir politique s’est cristallisé à travers l’histoire par une domination personnalisée et outrancière de l’action gouvernementale par le Président de la République.

Aussi les citoyens se demandent-ils, perplexes,
à quoi sert véritablement un Premier Minitre appelé à diriger l’action gouvernementale?

Cette question se pose à nous avec d’autant plus d’acuité qu’elle s’inscrit dans cette actualité troublante, marquée par la destitution inattendue de la Première Ministre Michèle Duvivier Pierre-Louis.

Ce renvoi intervenu dans des conditions peu élégantes a été à l’évidence le fruit d’une concertation entre un Chef de l’Exécutif silencieux et une majorité bruyante du Sénat de la République.

A quoi sert donc un Premier Ministre quand il n’assure pas la mise en oeuvre d’une vision et d’un projet de société, disposant d’une majorité stable de parlementaires issue de partis politiques véritables?

A quoi sert enfin un Premier Ministre quand de multiples dispositions prévues par la Constitution et par la loi pour la bonne marche des institutions et la satisfaction des besoins élémentaires de la population peuvent rester indéfiniment inopérantes au gré des préoccupations politiciennes du pouvoir réel?

En cela, la Constitution de 1987 se trouve une fois de plus rattrapée par les réalités tortueuses et les les impérities de la politique haitienne.

A quoi sert donc un Premier Ministre quand le jeu politique et l’action gouvernementale à défaut d’être institutionnels et programmatiques restent subordonnés à la volonté personnelle du prince, et aux intérêts de clans, souvent défendus au mépris de l’intéret général?

La réduction significative du pouvoir du Président de la République par la Constitution de 1987 demeure jusqu’ici un leurre en dépit de la création d’un poste de Chef de Gouvernement répondant au Parlement.
Le pouvoir présidentiel ayant su profiter habilement de la persistance des déficiences structurelles qui contribuent à dénaturer le système politique haitien.

Aussi devons-nous en conclure que seule une mobilisation effective pour une redéfinition de l’engagement politique et de l’espace de pouvoir permettra aux citoyennes et aux citoyens de notre pays de changer définitivement la donne.

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